jeudi 24 mai 2012

Corpse

(Les parties précédentes sont à présent regroupées ici : L'Histoire )


Echoe reste figé un bon moment à observer le couple allongé sur le lit, une légère grimace pincée froissant son visage fin. Au premier regard il avait réellement pensé qu'il s'agissait de deux cadavres posés là comme pour une veillée funèbre, mis en scène de façon complètement inutile dans ce grand village vide. Mais au battement de cils suivant, l'homme et la femme étaient soudain devenus deux enfants, puis au suivant, ils étaient deux jeunes militaires en uniforme.
A chaque clignement, à chaque souffle, le couple change d'apparence, de vie, de statut... Comme une sorte de boue claire, floue et mouvante, altérant sa forme à la fois rapidement et lentement, trop aléatoirement pour que l'oeil n'ai le temps de vraiment en saisir la finalité. L'oeil sait qu'il s'agit de deux corps, tout comme il sait qu'il s'agit d'un homme et d'une femme, mais c'est là les deux seules choses qu'il pourrait affirmer. D'ailleurs... aucun des deux n'a de visage.

Echoe pousse un soupir un peu las. La surprise passée, ce couple n'a plus le moindre intérêt pour son esprit. Il s'agit simplement de deux vagues silhouettes sexuées, deux ébauches de personnages pas terminés, que l'écrivain a posé là inconsciemment en attendant d'en avoir besoin.
Echoe détourne les yeux et entre enfin dans la pièce, se dirigeant vers une des bibliothèques en bois brut pour commencer à en sortir les livres avec sa délicatesse habituelle. Les ouvrages tombent un à un sur le sol à mesure que l'insatisfaction du jeune homme grandit.... Une Porte, il lui faut trouver une Porte !!

Les heures défilent et le jeune homme passe de pièce en pièce, de maison en maison, fouillant un à un tous les recueils du village. Il n'accorde plus d'intérêt aux silhouettes fantomatiques qui reposent parfois dans certaines demeures, n'ayant plus que son but en tête : sortir d'ici avant de se retrouver dans un coin à effacer de l'histoire.

Le soir s'étend mollement sur le village, invitant les créatures de la nuit à venir errer dans les rues, à se fondre dans les ombres mouvantes et à chanter discrètement à l'abris des regards. Echoe pousse un soupir de lassitude et regarde par la fenêtre, depuis le premier étage de la loge simple d'un futur ouvrier.
Il frissonne un peu, la fatigue qui encercle progressivement ses muscles le rendant bien plus sensible à l'air frisquet qui s'immisce dans les batisses. Assis sur une simple chaise en bois, un livre ouvert sur les genoux, il se prend à observer pensivement deux espèces de rongeurs à plumes bleues se disputant une sorte de grosse orange à l'écorce rouge sang, chipée dans une des maisons qu'Echoe n'a pas pris la peine de refermer. Peut-être qu'il sera le seul à avoir jamais découvert ces créatures, songe-t-il alors...
Si cette histoire est vouée à être effacée, ou même si son écrivain décide qu'il n'aime pas ces petites bestioles, alors personne d'autre que lui n'aura jamais eu l'occasion de les regarder vivre.
Echoe frissonne à nouveau et remonte le col de sa chemise comme maigre rempart contre le froid, avant d'appuyer doucement son front contre la vitre. Il ferme les yeux, poussant un léger soupir, et se laisse aller à somnoler, engourdit dans d'étranges pensées.

C'est en sursaut que le jeune homme se réveille, au tout petit matin. La brume s'est installée dans les rues plongées dans une luminosité étrange, bleutée, cette couleur unique à la fois sombre et lumineuse qu'offre un soleil encore timide.
Mais Echoe est persuadé d'avoir entendu quelqu'un hurler. Les yeux à peine ouverts, le regard encore très ensommeillé, il dégage son visage de ses cheveux trop longs et jette un coup d'oeil au dehors, son coeur battant bien trop fort suite à ce réveil brutal.
Un soupir fébrile lui échappe : il y a quelque chose dans la rue... là, dans les recoins des bâtiments. Des ombres semblent bouger un peu trop distinctement pour qu'il ne s'agisse que de son imagination. Des ombres noires comme la nuit... non ! Comme le néant. Comme ce vide, ce rien, qui balayait la forêt la veille. Des formes mouvantes à la manière de ses corps trouvés un peu partout, sans contour que l'oeil ne soit capable d'appréhender complètement, sans couleur existante ou crédible, mais d'où s'échappent régulièrement de longs rubans de nuit s'enroulant et se déroulant à la manière de tentacules hésitants.
Le jeune homme fronce un peu les sourcils comme si cela pouvait l'aider à mieux voir, puis se lève d'un mouvement sec pour sortir vivement de la pièce, le livre qu'il tenait toujours sur ses genoux s'effondrant avec fracas par terre. Il aurai juré que l'une de ses aberrations avait tourner les épingles luminescentes qui lui sert d'yeux vers lui...

Echoe n'est pas quelqu'un de peureux. Il a vu trop de choses au cours de sa vie sans fin pour s'attarder sur ce genre d'émotion. S'il y a quoi que ce soit de potentiellement dangereux dans la rue, il faut qu'il sache ce que c'est.
Il descend quatre à quatre les marches qui le séparent du rez de chaussée, rassemblant sa chevelure dans son dos, puis ouvre la porte d'entrée sans se poser la moindre question ni même s'inquiéter de se retrouver face à face avec l'une de ses ombres du néant. Il ne lui suffit d'ailleurs que de quelques pas pour trouver l'une d'elle sur son chemin, la créature ne semblant même pas se soucier de sa présence.

Elle se déplace là à la vitesse d'un escargot, explorant le sol en terre battu de ses tentacules sans cesse mouvants. Echoe la regarde un moment, perplexe, les bras ballants le long du corps. Ca ressemble... à un animal en fait, qui n'arriverait pas à se décider sur la silhouette à adopter. En guise de pattes : ces tentacules changeants au nombre et à la taille indéfinissables puisque variants sans cesse ; en guise de visage : ces deux trous lumineux et minuscules qui semblent faire office de regard. De la taille d'un jeune chat ou d'un chaton parfois, ces créatures silencieuses semblent être de plus en plus nombreuses dans les rues, les envahissant progressivement sans que l'on ne puisse savoir d'où elles sont arrivées, comme apparues là en douceur, sans que l'oeil n'ai pu discerner le moment où elles se sont formées.
Echoe regarde l'animal passer devant lui, un sourcil légèrement haussé, puis avance le bout de son pied, poussant doucement la Chose du bout de sa chaussure comme pour en vérifier la tangibilité.
La créature qui l'avait jusqu'alors complètement ignoré tourne vivement ce qui lui sert de tête vers lui et dans un feulement proche de celui d'un chat sauvage, lui montre soudain une gueule largement ouverte, fendue de part et d'autre de... la totalité de son corps.
Des centaines de canines argentées et acérées comme le plus solides des aciers se dévoilent alors sur plusieurs rangées, comme dans la gueule d'un requin, et Echoe recule vivement de quelques pas, surpris par cette découverte et par l'agressivité soudaine de la Chose.

Le souffle un peu plus court, le regard plus alerte, Echoe sent un frisson glacé le parcourir. La créature ne l'attaque pas, elle l'a juste avertit qu'elle était consciente de son existence à présent. Et l'instinct du jeune homme lui fait dire que ce n'était peut-être pas une bonne chose finalement...



(Partie 5: // )

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